Bilan de la temporada 2006
L'année Castella

Ce n'est certes pas la première fois dans l'histoire de la corrida que le succès d'un torero
focalise l'attention du public et de la critique à un point tel que l'on finit par avoir l'impression
que rien ne s'est passé en dehors de ses triomphes. Mais c'est ce qui s'est produit de manière
indiscutable en 2006 avec Sébastien Castella, qui a survolé la saison des deux côtés des Pyrénées.
Aussi ne peut-on mieux qualifier l'année 2006, en tauromachie, que d'année Castella,
même si la satisfaction de voir notre compatriote atteindre enfin le but de ses ambitions
ne doit pas nous faire perdre de vue d'autres éléments intéressants.

 Un contexte tourmenté

2006 n'a malheureusement apporté aucun apaisement aux inquiétudes que l'on peut, de plus en plus légitimement hélas, éprouver pour l'avenir de la corrida, car ses adversaires, loin de relâcher la pression, ne cessent de l'accentuer, ainsi que, du reste, les participants à la célébration du 20ème anniversaire de La Querencia de Paris et au congrès de la Fédération des sociétés taurines de France, qui se tenaient simultanément à Paris au mois d'octobre, ont pu s'en rendre compte. L'on a pu croire, un moment, à un répit sur le front du Parlement européen, où les antis sont très actifs, avec le rejet, en octobre, par la majorité de 412 voix contre 178 (et 15 abstentions) d'un projet de règlement visant à inclure la corrida dans les activités prohibées au nom de la défense des animaux ; l'importance de cette majorité est en principe de nature à dissuader le Parlement européen à revenir sur la question dans un proche avenir, et l'on ne peut que s'en féliciter.

Mais une de fois de plus, c'est d'Espagne même que sont venues, à la fin de l'année les menaces les plus lourdes. De Barcelone tout d'abord, où des rumeurs ont fait état de ce que le propriétaire de la Monumental de la métropole catalane, l'empresa Balaña, lassé des pertes financières occasionnées par l'organisation des corridas, pourrait cesser son activité en 2008 et revendre les arènes à la municipalité qui les transformerait aussitôt en une sorte de marché aux puces permanent. Ces rumeurs ont provoqué un tollé dans la profession taurine, ainsi que dans les rangs de plusieurs partis politiques. Finalement, un peu de temps a pu être gagné, et Balaña se serait engagé à maintenir une activité taurine à Barcelone au-delà de 2008, au besoin en louant la place à d'autres empresas. L'affaire, qu'il faut continuer à suivre, montre en tout cas que la forte mobilisation contre la déclaration de la municipalité faisant de Barcelone une ville anti-taurine, il y a deux ans, n'a pas enrayé le phénomène de recul de la tauromachie en Catalogne.

 L'esprit " anti " au sommet

Si l'on est, hélas, habitué à recevoir de mauvaises nouvelles de Barcelone, l'on ne s'attendait pas à en recevoir aussi de Madrid. Passons sur le vaudeville de l'adjudication de Las Ventas, qui a vu la famille Martínez Uranga rentrer par la fenêtre après être sortie par la porte, et retenons plutôt le coup de tonnerre qu'ont constitué, quelques jours à peine avant Noël, les déclarations de la ministre de l'environnement, Mme Cristina Narbona, qui a exprimé le vœu de l'interdiction progressive des mises à mort en public avant la fin de la prochaine législature espagnole.

Nouveau tollé, mais si la ministre, désavouée, a commencé par minimiser la portée de son propos en ne parlant que d'un commentaire personnel, elle n'en a pas moins récidivé dans les derniers jours de l'année en comparant la corrida aux autres formes de violence sociale, comme la maltraitance conjugale.

L'esprit anti est donc désormais installé à un haut niveau de l'État espagnol, et l'on ne saurait s'en réjouir, même s'il est vrai que la prohibition éventuelle de la mise à mort n'est pas, dans l'organisation des institutions espagnoles, du ressort de l'état central, mais de celui des autonomies. En fait, les déclarations de Mme Narbona s'inscrivent dans le débat suscité en Espagne par le projet de loi sur le bien-être animal (bienestar animal) que le Gouvernement a déposé devant les Cortes. Aucune mesure d'interdiction directe de la corrida ne figure dans ce projet, mais la prise de position de la ministre pourrait faire rebondir la question. D'autant que d'ores et déjà certains aspects du texte paraissent inquiétants, comme ceux obligeant les transporteurs de bétail à équiper leurs camions d'eau et de nourriture pour les animaux et à observer des arrêts permettant à ces derniers de se reposer. Non seulement une telle mesure ne paraît pas aisément applicable au bétail brave, mais il est clair qu'elle est de nature à modifier une fois encore l'équilibre économique de la fiesta, avec toutes les conséquences que cela peut comporter.

 Statu quo sur la langue bleue

Pendant que les milieux politiques espagnols se préoccupent du bien-être animal, l'épidémie de langue bleue se poursuit, amenant le gouvernement français à maintenir les mesures restrictives à l'importation en France de toros provenant des zones contaminées. Cette interdiction, sur les motivations de laquelle il est inutile de revenir ici, n'est pas restée sans effet sur la temporada française. Il est vrai que les pronostics un peu alarmistes exprimés en début de saison sur la capacité des élevages français et salmantins à prendre le relais des ganaderias andalouses et castillanes ne se sont pas trouvés confirmés.

Au prix de solutions un peu acrobatiques (l'installation des toros de Samuel Flores dans les corrals de Dax près de trois mois avant la féria !), toutes les corridas prévues ont pu avoir lieu, et certains fers ont remporté dans nos arènes des succès notables, comme celui de Valdefresno, dont un toro a été gracié à Béziers et qui a donné un toro impressionnant à la corrida-concours de Vic, ainsi qu'une bonne course à Nîmes et à Bayonne, ou celui, plus nouveau, d'Antonio Bañuelos, qui a connu une tarde importante à Dax.

Photographie du taureau Cubilón, n° 90 de Valdefresno, à Vic-Fezensac, lors du corrida-concours du 4 juin 2006.

Cubilón, n° 90 de Valdefresno,
Vic-Fezensac, corrida-concours du 4 juin.
(Photographie : J.B.)

Pensons aussi, du côté français, à l'impression causée à Mont-de-Marsan par le lot de Robert Margé. Il n'empêche que la situation a commencé à se tendre de manière perceptible : certains élevages sont soit trop récents, soit trop petits, soit en trop mauvaise passe pour offrir des garanties suffisantes de régularité et de caste.

Et puis l'absence durable de certains élevages devient réellement frustrante : je pense, en disant cela, non pas tant à Miura, bien que sa corrida sévillane restera sans doute longtemps dans les cauchemars des toreros, ni à Victorino Martín, qui a réalisé une année en mineur, mais plutôt à un élevage comme Cebada Gago, par exemple, qui a lidié plusieurs excellentes corridas (Séville, Santander, Saint-Sébastien notamment), ou, dans un autre registre, à Zalduendo, qui a battu le record du nombre d'indultos avec quatre grâces sur la saison dont deux, c'est sans précédent, dans la même corrida, le 11 septembre à Murcie.

 Routines

Dans ce contexte qui ne peut franchement pas être qualifié de réjouissant, l'activité s'est globalement maintenue. Avec 2270 courses au total en Espagne et en France, un nouveau record a été battu, après celui de 2003, ce qui veut dire que la tendance à la stabilisation, voire à la baisse du nombre de courses observée en 2004 et 2005 n'aura pas été durable, ce qu'il y a peut-être lieu de regretter. Il est intéressant de relever que cette augmentation n'est imputable ni à la France (le nombre de courses y a même légèrement baissé), ni aux arènes espagnoles de première et de deuxième catégories, mais à celles de troisième catégorie, c'est-à-dire celles où l'ancrage populaire de la fiesta est peut-être le plus fort, mais où la qualité tauromachique et le sérieux du montage financier ne sont pas forcément les mieux garantis.

Une nouvelle fois, le premier de l'escalafón est El Fandi ; le bondissant torero de Grenade a fait très fort cette année en toréant 108 corridas (dont une seule en France : Fenouillet le 1er juillet), coupant 219 oreilles (plus de deux en moyenne par corrida !) et 15 queues. Il s'est placé ainsi très loin devant El Cid, qui a toréé, lui, 83 corridas et Rivera Ordóñez, 79. Tout cela ressemblerait, somme toute, à de la routine, s'il n'y avait eu Sébastien Castella.

 La consécration d'un Français

Photographie de Sébastien Castella à Dax, le 14 août 2006, devant un taureau de Victoriano del Río.

Sébastien Castella à Dax, le 14 août, toro de Victoriano del Río. (Photographie : F.D.M.)

Avec 75 corridas toréées, qui lui ont valu 118 oreilles et 6 queues, Sébastien Castella n'est que le cinquième à l'escalafón, mais il est unanimement reconnu comme le número uno de la saison. Ses succès lui ont valu d'être constamment sous le feu de l'actualité taurine, si bien qu'il est difficile d'en parler avec originalité, surtout après l'excellente conférence que Thierry Vignal lui a consacrée à La Querencia de Paris en septembre dernier. L'on se bornera donc ici à trois commentaires.

Le premier est pour faire amende honorable du scepticisme qu'à l'occasion de ce bilan traditionnel, il m'a parfois inspiré, perplexe que j'étais, jusqu'en 2004 au moins, par le fossé séparant des propos d'une folle ambition et des prestations, certes valeureuses, mais souvent insuffisamment convaincantes pour justifier de tels propos.

Certes, il avait connu des grands triomphes en Amérique du Sud, mais de ce côté de l'Atlantique, il y avait souvent dans son toreo quelque chose de laborieux et d'insistant qui ne permettait pas à l'émotion de se faire jour. La San Isidro de 2005 avait marqué un premier tournant, mais l'essai n'avait pas encore été complètement transformé dans la saison qui avait suivi. Aujourd'hui, il l'est, et c'est une leçon de courage et de persévérance, pour tous ceux qui, à un titre ou à un autre, doutaient de sa capacité à atteindre ses objectifs.

Le second est pour souligner qu'au-delà de succès qui peuvent sembler faciles, ce torero est un torero de pundonor. Sa technique, exposée en détail par Thierry Vignal, mais surtout son courage physique lui permettent de faire face à un large éventail de situations, et il est capable de comportements véritablement héroïques, comme on l'a vu le 11 juillet à Pampelune, où la jambe ouverte par un toro de Rosario Osborne, il a poursuivi sa faena jusqu'à la mise à mort, imposant le respect à un public dont l'attention n'est pourtant pas facile à capter. Une scène semblable s'est produite à l'occasion de sa très grave blessure à Cali le 4 janvier dernier. Sébastien Castella n'est pas un torero d'opérette.

Le troisième commentaire, le plus délicat peut-être, tient à sa nationalité. Bien sûr, c'est la première fois qu'un Français parvient à ce niveau de la profession, et c'est en soi un élément considérable dans l'histoire de la tauromachie, et singulièrement de la tauromachie française.

La situation de cette dernière est-elle pour autant durablement modifiée par ce succès ? Je n'en suis pas certain, dans la mesure où il faut bien reconnaître que s'il est né et a grandi à Béziers, Castella est de longue date installé en Espagne, où il a parfait sa formation et où il a monté un à un les échelons de la carrière, au point d'être presque devenu plus espagnol que les Espagnols eux-mêmes, allant jusqu'à participer en pénitent aux processions de la Semaine Sainte ; cela n'a pu manquer de contribuer aussi à son succès auprès de l'afición espagnole. Le parcours de Castella montre que la nationalité d'un torero n'a guère d'importance quand il est bon, tout est question de talent, de chance et de volonté, et cette leçon doit être méditée par ceux qui, de ce côté-ci des Pyrénées, seraient tentés de compter sur leur seul passeport pour s'assurer une carrière.

 Un garçon à suivre

La suprématie de Sébastien Castella ne doit pas rejeter dans l'ombre un certain nombre de toreros importants en activité, sur lesquels nous reviendrons en parlant des perspectives pour l'année 2007. Mais à ce niveau une mention spéciale paraît devoir être faite de Domingo López Chaves. A dire le vrai, je pensais pouvoir associer à son nom celui de Luis Vilches, mais après un début de saison très prometteur, Vilches n'a pas entièrement justifié les espoirs placés en lui, connaissant au surplus de grands problèmes à l'épée.

López Chaves a toréé 37 corridas, coupant 33 oreilles ; cela peut paraître peu, mais ce n'est déjà pas si mal pour quelqu'un qui, il y a deux ans encore, se morfondait dans les profondeurs de l'escalafón. Sa grande spécialité, ce sont les Cebada Gago, malheureusement éloignés de France, dont il n'a pas toréé moins de 9 lots en 2006, notamment à Séville, Pampelune, Bilbao, Saragosse. En France, on l'a vu notamment face à une très dure corrida de Juan Luis Fraile à Bayonne, le 1er septembre.

Photographie d'un taureau de Ortigão Costa, le 30 juillet 2006 à Santander.

Toro de Ortigão Costa, Santander,
le 30 juillet. (Photographie : Ph.B.)

Ce qui est remarquable, ce n'est ni son courage physique (lui aussi a toréé la jambe ouverte à Saragosse), ni même son art du dominio, bien mis en évidence par le type de corrida qu'il affronte. C'est, ce me semble, l'émotion qu'il est capable de créer grâce à la profondeur de sa muleta, et plus encore à un sens de la cadence et de la liaison rarissime dans le monde torista. Le voir non seulement embarquer, mais véritablement " enrouler " dans une muleta onctueuse et languide un Cebada à Séville, puis un Ortigão Costa à Santander resteront pour moi les plus beaux souvenirs de cette saison, souvenirs de privilégié, j'en suis conscient, mais la corrida de Bayonne a également donné un excellent échantillon de la valeur d'un garçon que les adhérents de La Querencia de Paris feront bien d'aller revoir l'an prochain.


 Trois moments d'émotion

La magie de la corrida, ce n'est pas seulement la rencontre d'hommes et de toros, ce sont aussi des moments miraculeux, dont on se dit, quand on les vit, qu'ils vont aller tout droit enrichir la légende. L'année 2006 nous a donné trois de ces moments, de peu de portée purement tauromachique en eux-mêmes sans doute, mais tellement remplis d'émotion que cela revient au même.

Le premier de ces moments s'est déroulé à Las Ventas le 1er avril. Madrid rendait hommage à Rafael de Paula, le mythique gitan de Jeréz de la Frontera. Une forte ovation a accueilli le maestro presque infirme, appuyé aux bras de Joselito et de Morante qui ont toréé un festival organisé en son honneur.

Le second, c'est la despedida, sans doute définitive cette fois-ci, de Manzanares à la Maestranza le 1er mai. A la fin d'une corrida mixte à l'occasion de laquelle Cayetano se présentait à Séville, de manière inattendue, le maître d'Alicante a demandé à son fils de lui couper la coleta, et après que celui-ci s'est exécuté en larmes, tous les toreros présents l'ont hissé sur leurs épaules pour une triomphale vuelta à laquelle ont participé rien moins qu'El Cordobés (le calife !), Ponce, El Cid, Morante, Padilla, Conde, l'on en oublie, qui ont montré ainsi ce qu'ils devaient à ce grand maître.

Photographie de Cayetano à Nîmes, le 15 septembre 2006, lors d'une corrida de Domingo Hernández.

Cayetano à Nîmes, le 15 septembre, corrida de
Domingo Hernández. (Photographie : F.D.M.)

Enfin, le 9 septembre, à Ronda, l'alternative de Cayetano, reçue des mains de son frère avec, au ciel, les maîtres de la famille pour témoins, à commencer par le père des deux protagonistes. Moment hors normes pour une histoire qui l'est d'un bout à l'autre : l'essentiel n'est pas dans les oreilles coupées, mais dans ce qui a pu se passer, au moment fatidique, dans l'esprit de ces deux hommes.

Et puisque nous sommes dans le registre de l'émotion, restons-y un instant pour rendre le traditionnel hommage à ceux qui ont quitté l'arène cette année, et tout particulièrement, outre Manzanares, à Fernando Cepeda, torero trop rare et trop méconnu de mon point de vue, qui avait pris l'alternative en 1987 à Madrid (des mains de Rafael de Paula et de Manzanares !), à Eduardo Dávila Miura, et à Javier Vázquez, qui a payé de la perte d'un œil son courage devant les toros durs.

Hommage aussi aux disparus, dont les ganaderos Luis Álgarra et Justo Nieto, et l'un des doyens mondiaux du toreo, le mexicain Silverio Pérez, qui avait reçu l'alternative en 1938 des mains d'Armillita Chico.

 Des défis pour 2007

Une fois n'est pas coutume, consacrons la fin de la rétrospective à essayer de décrypter les événements potentiels de la saison 2007 qui va bientôt commencer : ces événements pourraient venir d'un certain nombre de toreros qui vont devoir relever, chacun de son côté, des défis bien particuliers.

Défi de la durée, en premier lieu, pour Sébastien Castella : de sa capacité à renouveler en 2007 la sensation causée en 2006 dépendra son accès définitif à la catégorie des figuras. Rappeler cela n'est pas faire preuve une nouvelle fois de scepticisme pour le Français, c'est simplement constater une vérité d'évidence dont le Cid a fait l'amère expérience cette année, en dépit du nombre élevé de corridas qu'il a toréées et du succès, bienvenu pour lui, de son " seul contre six " de la San Miguel à la fin de la saison, à savoir qu'il n'est pas tout de savoir arriver au sommet, il faut aussi savoir s'y maintenir. Souhaitons donc que Castella y parvienne, et qu'en même temps, El Cid retrouve la plénitude son toreo, qui nous a donné naguère de si beaux moments et qu'il semble avoir un peu perdu de vue.

Défi de l'éternité, ensuite, pour Enrique Ponce et El Juli. Car il n'y a plus qu'à cette aune que l'on peut désormais mesurer leur stature, surtout celle du premier, qui continue à enthousiasmer ses admirateurs par son toreo apparemment inépuisable ; des rumeurs de retraite se font périodiquement entendre, mais ce n'est pas nouveau, et l'on se demande pourquoi cette horlogerie taurine devrait s'arrêter un jour. Quant au Juli, ce serait une erreur de le perdre trop vite de vue, même s'il a décidément du mal à se débarrasser de son image d'enfant prodige vis-à-vis d'un public qui refuse de le voir mûrir ; deux corridas de Victorino Martín (dont l'une à Madrid) et une de Miura montrent qu'il a bien l'intention de ne pas se faire oublier, et il dispose pour cela d'un atout précieux : il est encore jeune...

Photographie du torero Morante de La Puebla, à Séville le 22 avril 2006 lors d'une corrida de Zalduendo.

Morante de La Puebla, Séville, 22 avril,
corrida de Zalduendo. (Photographie : J.Y.B.)

Défi de la légende pour Morante de la Puebla. Tout en lui montre qu'il n'a d'autre but dans la vie que de se situer au niveau des plus grands mythes ; son parcours l'y conduit tout doucement, jusque dans ses embardées, car comme on le sait, il n'est pas de génie en tauromachie sans caprices extravagants ni échecs retentissants. En 57 corridas (trop pour lui, sans doute), Morante n'a coupé que 37 oreilles ; l'admiration qu'il suscite chez les uns n'a d'égale que l'agacement qu'il suscite chez les autres, notamment de ce côté-ci des Pyrénées, où il a du mal à se voir reconnaître mais où, probablement, l'on ne peut pas comprendre certains traits de son génie. Sa dernière folie : prendre Rafael de Paula comme apoderado ! Il faut aller voir Morante en 2007, ceux qui ne le feront pas risquent de le regretter longtemps.

C'est un peu un défi du même ordre qui attend Cayetano. Tout en lui est atypique, depuis ses débuts sans chevaux a puerta cerrada, son parcours de novillero effectué pour l'essentiel en solitaire ou en corridas mixtes, l'alternative familiale de Ronda déjà mentionnée, et cet arrêt soudain, après cinq corridas seulement. Cette alternative à presque 30 ans, qu'était-ce donc, un tremplin ou au contraire un aboutissement ? C'est un mystère, mais tout ici relève de la singularité cultivée. Une grande marque de vêtements italiens songe à lui pour en faire son symbole, et il a même participé à un défilé de mannequins à Milan, curieuse décision au moment où s'établissent les premiers carteles. Affaire à suivre : il y a tellement de manières différentes d'entrer dans la légende.

S'il doit y entrer, ce sera par la Puerta Grande que le fera César Jiménez. Pris en mains par Joselito, cet aimable enfant de chœur est en train de se transformer sous nos yeux en torero de responsabilité. 2006 n'a pas tenu toutes les promesses, mais 2007 pourrait être l'année d'une grande surprise, comme d'ailleurs pour Manzanares fils, Miguel Ángel Perera et le plus jeune Alejandro Talavante.

Défi de la despedida pour César Rincón, comme d'ailleurs, dans un autre registre, pour Jesulín de Ubrique. Après une année éprouvante et inégale, le maître colombien se retirera définitivement en 2007, sans doute à Madrid : formons le vœu que cette sortie soit digne d'une grande carrière. Défi du retour, à l'inverse, pour Ortega Cano (mais qu'en attendre ?) et, plus sérieusement pour Jean-Baptiste Jalabert, après la bonne impression donnée notamment à Dax en 2006.

Défi de la percée décisive, enfin, pour Sánchez Vara, enfin vu en France et dont la solidité et la régularité ont été remarquées ; pour Fernando Cruz, qui a impressionné Madrid et Pampelune et que la France, qui a tellement fait pour lui quand il était novillero et qui, hormis Céret, l'a passablement négligé en 2006, ne doit pas oublier en 2007, et pour Iván García, l'auteur, notamment, de l'indulto de Béziers.

Défi, enfin, de la langue bleue pour les organisateurs français, si les mesures vétérinaires ne sont pas aménagées ; la prohibition des élevages d'Albacete, qui vient d'être confirmée, resserre encore l'étau, et il suffirait que le Campo Charro soit atteint à son tour pour que la situation devienne catastrophique. Faudra-t-il réduire le nombre de courses ? Faudra-t-il mettre des toros en réserve si la région de Salamanque est touchée à son tour ? Peut-on espérer une libéralisation du mouvement des toros du fait de l'apparition de nouveaux foyers de la maladie dans le Nord de l'Europe ? Questions sans réponse pour l'instant, ce qui va contraindre les organisateurs à faire preuve, cette année encore, de réactivité et de souplesse.


Ph. B.